Chère demoiselle,
Les possibles réponses à une telle question sont enracinées dans plusieurs sujets.
Nous acceptons depuis des siècles d’être dirigés par des personnes viles et obsédées par le pouvoir à tout prix, autant que par le contrôle : continuité des quelques lignées royales impérialistes qui ont conquis le monde par la domination du système usurier planqué derrière les forces armées et religieuses, nous éloignant ainsi des lois naturelles fondamentales dans une illusion de progrès et de confort qui a détruit l’ensemble de notre sagesse par l’accumulation d’activités et de possessions inutilement néfastes, mais surtout par l’anéantissement organisé de tous les peuples premiers.
Dans les domaines qui lui sont vitaux, le citoyen moderne occidentalisé est ignare, par choix, par goût, par habitude, perdu dans les technologies de sa misère – il ne connaît pas sa maison et il ne se connaît pas lui-même – car l’entièreté de la construction de son « moi », coupé du « nous », repose sur des valeurs nulles, fausses et aliénées récitées en mantra depuis l’enfance par toute sa société. Je ne peux pas dire qu’il ait oublié. Il n’a jamais su, et les parents de ses parents, avant lui, n’ont jamais su. Tout autour de lui est fait pour qu’il soit séparé du but de son existence, occupé à adorer la matière et ses apparences, coupé de tout lien spirituel pouvant lui souffler quelques directives. Je rejoins Rousseau dans l’analyse des sophistications de l’homme contemporain qui se ramifient au préjudice de sa vertu, qui endorment sa morale, rendent sélective son aspiration à l’honneur. Il se fait le spécialiste, souvent diplômé, des mêmes domaines qui constituent les barreaux de sa geôle. S’enorgueillissant de ses technicités, il est un esclave heureux, une victime satisfaite qui en réclame du rab puisqu’amoureuse de son tortionnaire, pire, en mimique la démence ; celui-ci voudrait que tout le monde en fasse de même afin de se rassurer collectivement de bien faire. Quand vous aurez le malheur d’évoquer le sujet, il sautera sur le moindre détail de votre existence lui donnant l’impression de confirmer que vous êtes une donneuse de leçons hypocrite et dérangeante, ne comprenant pas que ce n’est pas une compétition exclusive et radicale, mais une nouvelle hygiène à mettre en place du mieux possible, chacun à la hauteur de son courage en gardant le cap vers une efficience progressive. Il est une créature sociale, miroitant des miroirs, qui agit dès lors que l’entité du plus grand nombre en a convenu ainsi. Nous ne pouvons pas attendre d’une telle personne autre chose qu’une prise de conscience en temps réel par la vraie grosse claque, le jour J, bien évidemment trop tard, face à sa propre exécution et à celle des gens qu’elle chérit.
Entre deux nuages de fumée, Jean-Paul Sartre déposait tranquillement au micro légendaire de Jacques Chancel pour l’émission Radioscopie, les mots suivants : « La sagesse suppose un citoyen bien établi dans l’état et qui, à ce moment là, décide de s’adapter au monde. Or, ce citoyen n’existe pas. C’est une fable. Il existe des opprimés, des exploités et des exploiteurs, et je ne vois ni chez les uns, ni chez les autres, une sagesse que l’on pourrait leur enseigner. »
Fort heureusement, ceux qui pensent par eux-mêmes et comme vous, le vivent et le pratiquent déjà depuis dix ou vingt ans, certains plus encore, et cela malgré les amis ricaneurs ou une famille vexante, leur préfèrant de loin la vie, la Terre et les perspectives d’avenir agréable au sein de celles-ci. D’après moi, ce n’est plus l’heure de convaincre ni de s’égosiller à tenter d’éveiller ceux qui ont déjà échoué depuis longtemps dans ce qu’un Spencer qualifierait de « survie du plus apte ». Ils n’ont pas écouté, ne sont pas intéressés par une écoute et n’écouterons probablement pas. Jiddu Krishnamurti délivrait en public qu’il faut aimer pour écouter.
Les routes, les airs et les mers sont saturés de véhicules. Tout est emballé de plastique. On se sert des produits animaux à chaque repas. Acheter pour utiliser et jeter tout ce qui s’extirpe de la croûte terrestre est génial ! Tous vaquent goulument à leur travaux superflus et polluants. Absolument tout pousse à la surconsommation succombée de produits modifiés génétiquement, chimiques, empoisonnants, et l’on rit tous ensemble, les dimanches après-midi, des « hippies » « écolos » qui voudraient prétendre à déranger la coutume en n’ayant aucun pouvoir d’achat. Il est vrai, presque personne n’a l’idée, la hardiesse, le bon sens ou le désir d’abandonner son mode de vie toxique pour tous. Pourquoi le ferait-on ? Après tout, nous ne sommes que des primates évolués de bactéries rocheuses d’une soupe primordiale, ricochant hasardément dans un espace infini, chaotique et quantiquement démultiplié comme les films et les YouTubers le montrent. Quand on est rien, une erreur, au mieux une probabilité infime, quand on a soi-disant qu’une vie et qu’elle n’a aucun sens, le seul moyen de lui en accorder est de consommer pour oublier son absurdité en s’adonnant aux désirs égoïstes tant que l’on peut. On comprend ici que cet être ne s’aime pas ; comment pourrait-il, alors, devenir capable d’aimer l’autre ? Voyez-vous, le logiciel est impossible à désinstaller lorsque son existence reste insoupçonnée.
Parce que notre complexité nous expose à de multiples vulnérabilités ? Parce que tout le monde est engraissé à la fiction et allergique au factuel ? Parce que c’est plus facile. Parce que l’état d’esprit qui a permis la révolution industrielle et l’avènement de sa mondialisation ne peut pas détenir la solution à l’hécatombe écologique. Parce que 1984 ou Idiocracy, c’est maintenant ! Parce que l’industrie des divertissements fait ouvrage exceptionnel à nous désensibiliser devant nos propres crimes. Parce que ce qui ne me tue pas, directement, me rend… moins mort ?! Et, sincèrement, tue mon voisin d’abord.
Le narcissisme ambiant, cet individualisme irrésponsable poussé, est une force opposée à l’empathie sur le spectre polarisé de la conscience, donc naturelle, donc légitime, avec ses cycles et ses modes (dont l’actuelle) qui contrebalancent et révèlent les êtres au fonctionnement inverse, entre autres conséquences. Friedrich Nietzsche proposait un intérêt écosystémique, par-delà le bien et le mal, même au plus grands prédateurs qui réguleraient, à leur façon, le flux de la vie autant que n’importe qui d’autre.
Au loin les politesses et les courtoisies timides. Je n’éprouve vraiment pas la crainte de passer pour arrogant, surtout aux yeux de ceux qui feindraient débarquer dans la réalité, en avançant les présentes pistes de réflexion car, à mon sens, l’ultime arrogance est bien d’encore se conduire en parasite irrationnel et de toujours exiger le silence d’autrui, en plus de s’octroyer le luxe d’avorter quelconque remise en question de ses propres actes et, donc, de sa part de responsabilité. Des menteurs qui voudraient crier aux autres de faire preuve d’humilité pour ne pas affronter leur mythe… Les mêmes qui n’ont pas entrepris de chercher la racine de leurs maux. Lorsque j’ose me faire moralisateur, la première cible de ma sévérité est avant tout moi-même, et ce, trois fois par jour.
De la psychologie, les « experts » éloquents d’occident ont étiré toute sorte d’étiquettes grossières pour justifier, et sur la longue cautionner, les délires lâches qui servent à ne jamais avouer la stupidité d’une civilisation décadente qui, dans son effondrement, entraîne avec elle l’ensemble du vivant. « Rejet » par ci, « dénégation » par là, « mécanisme de défense » là-bas, « dissonnance cognitive » ici, « effet d’ambiguité » au fond, « sophisme génétique » devant : un vocabulaire qui s’étend et se complexifie – en peinant à camoufler – à mesure que la nécrose d’une tourbe malade progresse. Si, effectivement, les nuances sont fractales et que la situation de chacun dépend d’une toile compliquée de facteurs, et que tomber dans une binarité cons/intelligents est facile, qu’est-ce qui permet, alors, à certains d’intégrer le fait qu’en pourrissant notre environnement nous tuons les nôtres, mais le refuserait à d’autres ? Et en fait, pourquoi ne cessent-ils pas toute activité qui nuit à la Terre et à eux-mêmes, au moins essayer, s’ils sont tout aussi savants ? Le principe de l’intelligence est de s’adapter aux circonstances en générant des solutions aux problèmes, non d’en créer davantage. Il est question de la santé de notre espèce, de sa survie, de celle de nos enfants et petits enfants, sans même énoncer tous les autres enjeux ! Il faut être un peu sérieux.
Mon propos n’est pas tout à fait d’élever qui que se soit au-dessus d’un groupe ni d’infantiliser l’écrasante majorité qui ne sait pas qu’elle ne sait pas, mais plutôt de vous rapporter le triste et amer constat fait et douloureusement digéré par la poignée d’individus ralliés à votre cause. Nous ne sommes pas tous faits du même bois et cela est autorisé par un ordre précis des choses, chacune bien à sa place au sein d’un macro-organisme de sagesse suprême. Sans ligne directrice, sans la connaissance de sa pertinence et sans gouvernail pour la rejoindre, eh bien ! on dérive ; l’univers a visiblement décidé que beaucoup doivent dériver.
Un Jude tranchant nous expliquait : « il y aurait des moqueurs marchant selon leurs propres convoitises d’impiétés ; ceux-ci sont ceux qui se séparent eux-mêmes des hommes naturels, n’ayant pas l’Esprit. » Et quand bien même les chrétiennetés irriteraient, il faut savoir trouver la clairvoyance de percevoir que l’ensemble des textes sacrés, empruntés à ceux de l’Égypte ancienne, n’ont d’autre trame de fond que celle qui s’enflamme d’éloges aux gardiens de la nature accordés au cosmos. La conservation de ce dernier est le fondement même de l’éthique antique qui inspirera les penseurs de toutes les autres civilisations.
Alors, parce que tout le monde n’est pas vous, poursuivez votre voie dans le type d’efforts qu’il vous plaît à entreprendre pour ce qui vous semble être vrai, juste, noble, sage, bon, beau et bien. Merci beaucoup pour votre questionnement, comme pour votre lucidité rafraîchissante. Dans votre décroissance sensible à l’harmonie, adoptez en protections un recul et une attente très limitée, parce que vous, qui êtes la bâtisseuse d’un autre monde, vous ne vous en foutez pas et ça, c’est une chose qui, quelque part, compte précieusement.